Un visiteur inattendu

La nuit est noire depuis longtemps. Toute la maisonnée dort.
La porte d'entrée s'ouvre discrètement. Un simple tour de clé a suffit.

L'ombre écarlate du moucheur de la Confrérie fait quelques pas dans la salle principale, s'assurant que nul ne veille. Tout est tranquille, parfait.
Il s'avance un peu plus jusqu'à l'âtre, s'immobilisant un instant à regarder le feu. Les lumières vacillantes des flammes font des reflets ardents sur son masque de cuir tout autant que sur le canon de Requiem, son arme.

Puis il sort une boite d'osier et l'ouvre avec précaution. Deux petites lumières aux allures féeriques en sortent timidement avant de s'élancer autour de lui dans un ballet tournoyant. Deux sylphes.

Il entend un bruit de pas, le plancher qui craque. Il se retourne, fixant l'obscurité de ses yeux sombres, attendant de voir qui va en sortir.

Le calme de la nuit, la douceur de l'air qui pénètre par la fenêtre....Hernanone, les yeux fermés, allongée sur son lit dans sa chambre, laisse son esprit vagabonder dans ses souvenirs.
Soudain, elle ouvre les yeux...Un léger bruit au rez-de-chaussée, à peine perceptible mais suffisant pour mettre en alerte les sens de la Rousse.

Doucement, elle se lève, pieds nus sur le plancher, sort de sa chambre et se dirige vers les escaliers. Il fait noir dans la salle du bas, mais pourtant une étrange lumière semble provenir de l'âtre.

Hernanone descend marche à marche les escaliers. Elle n'a pas peur, après tout, elle est chez elle. Elle est surtout curieuse de savoir qui a bien pénétrer si silencieusement. Car elle sait qu'il y a quelqu'un, même si elle ne le voit pas. Elle le sent, elle l'attendait depuis quelques temps déjà.....

Arrivée en bas des marches, elle s'arrête et dirige son regard vers celui qui se trouve près de l'âtre.

Bien le bonsoir......Il est bien tard pour venir....Mais sois le bienvenu, je vois que tu as retrouvé facilement le chemin jusqu'ici.....

Prend donc une chaise...Alejo....Nous avons beaucoup de choses à nous dire.

Malgré son masque, son regard ne cache pas un sourire en voyant entrer la maîtresse de maison.

"Bonsoir Hernanone. Merci de ton accueil. Je suis indélicat d'arriver si tard mais je suis devenu trop méfiant pour m'aventurer tant à découvert de jour.
Je le suis surtout pour avoir mis plus d'un an à venir vous voir."

Il tire un fauteuil pour s'asseoir près du feu. Ni avec la lumière dans le dos, ni face à lui. Il lance un regard aux deux sylphes qui tourbillonnent et dépose sa boite ouverte, mais elles ne semblent pas décidées à y rentrer aussitôt.

"J'aurais dû venir plus tôt. Mais les choses étaient... compliquées. Au point que je ne sais par où commencer."

Il hésite un instant.

"Peut-être par te demander plus de nouvelles ? Comment se portent les Sylphes ? Es-tu seule ici ce soir ? J'ai entendu dire que vous avez de nouvelles recrues ?"

Hernanone s'avance près de l'âtre, remue les bûches afin d'activer le feu puis s'installe dans un fauteuil face au Masque, les flammes se reflétant dans ses yeux verts éméraude, posés sur les deux Sylphes.

Les Sylphes tentent de se maintenir...mais par les temps qui courent, c'est de plus en plus difficile. On tente de s'agrandir.....

La maison est assez silencieuse. Les membres sont souvent en vadrouille, donc peu présents dans leur chambre...

Un léger sourire apparait sur les lèvres de la Rousse lorsque Alejo lui demande si elle est seule ici.

Je ne suis jamais seule Alejo...tout du moins, je ne le suis plus depuis bien longtemps...Mais tu dois le savoir. Slaughter est à l'étage, endormi tout en étant sur le qui-vive....au cas où.

Puis Hernanone tente de percer le masque qui se trouve sur le visage de son interlocuteur.

Et toi?...Pourquoi avoir mis si longtemps à revenir?....Pourquoi ne pas avoir donné de nouvelles plus tôt?....et surtout ne pas m'avoir avertie de sa mort.....tu aurais dû, toi, au lieu que je l'apprenne de la bouche d'une autre....

Son regard s'est durci, son visage s'est fermé. La Rousse semble en vouloir à celui qui autrefois était une Sylphe.

L'invité croise ses mains et regarde le sol entre ses jambes, l'air coupable.

"Je... Oui, j'aurais du vous prévenir, ça aurait été la moindre des choses.
J'ai vécu des choses... éprouvantes... à l'origine de mon retour sur l'île. Je n'étais plus moi-même et je ne le serai jamais plus. Mais j'ai... sans doute perdu l'esprit.
Dans ma souffrance, j'ai oublié que je n'étais pas le seul à l'aimer."

Il lève les yeux lentement sur le regard clair de son hôte, y cherchant le pardon.

"Je pensais que Virgile vous en aurait averti. J'ignorais que ce n'était pas le cas.
N'est-ce pas lui et sa famille qui l'ont faite enfermer dans ce couvent où j'ai vu sa tombe ?"

Le regard de la Rousse se radoucit mais un reste de colère s'y dessine toujours, se mêlant à un air interrogateur à la question d'Alejo.

Enfermée? Couvent?...Je ne comprend rien à ce que tu me dis....Je n'ai jamais connu les raisons du départ de Nara.....

Virgile ne m'a jamais parlé de son départ et cela fait bien longtemps qu'il a quitté les Sylphes et que l'on ne faisait que se croiser...Il était devenu distant.

Hernanone s'installe plus confortablement dans son fauteuil après avoir remué le feu pour faire monter la chaleur.

Ce n'est pas le fait de ne pas avoir été prévenu qui m'a fait le plus mal....Ne pas savoir me laissait un espoir de la revoir peut-être un jour....Mais apprendre sa mort par.....Elle sert les points et son regard se redurcit, se remplissant de mépris.....l'apprendre par cette personne, que je méprise au plus haut point....m'a fait beaucoup plus de mal que de ne jamais le savoir.

Nara était ma meilleure amie sur cette île, ma confidente, une sœur....Tu aurais dû venir me voir pour me l'annoncer....toi, celui qu'elle aimait, qui a partagé sa vie....

Elle plongea son regard dans celui d'Alejo, lui faisant comprendre qu'elle lui en voulait et qu'elle aurait du mal à lui pardonner cette absence d'information.

Le regard de la rousse lui fit comprendre que le temps n'était plus aux excuses mais aux explications. Alors l'homme masqué se replongea dans ses souvenirs douloureux.

"Après que j'ai réussi à vaincre Virgile en duel, celui-ci aurait dû m'accorder la main de sa cousine. Mais il n'en fût rien, il brisa sa parole et refusa notre mariage.
Nara décida alors, comme tu le sais, de retourner dans sa famille pour arracher cet accord.
Je n’eus plus aucune nouvelle de sa part pendant des mois, bien plus d'une année. Pourtant, j'espérais toujours, soupirant après son retour, complètement impuissant.

Puis j'ai découvert le trésor de Van Buick. Un de ses trésors, pour être exact. Une véritable montagne d'or. Et avec de l'or, on peut obtenir beaucoup de choses : j'ai fini par apprendre où était Nara. Sa famille l'avait fait enfermer dans un couvent, en France.
Alors, j'ai décidé de quitter l'île. J'ai fait armer 2 navires pour transporter l'or jusqu'à mon domaine. Et j'ai également, en toute discrétion, recruté une bande de malandrins et leur bateau rapide. Je comptais bien enlever Nara de sa prison pour l'épouser en secret."

Son regard se fait amer en se remémorant de ses espoirs fous.

"Mais je n'ai découvert que le désespoir dans ce couvent. J'y ai trouvé la tombe de Nara. J'étais arrivé trop tard.
Tu ne peux pas imaginer les larmes qui ont coulées, la douleur que j'ai ressentie.
Ce fût la dernière chose que fit Alejo avant que le destin ne le transforme en ce Masque qui est devant toi aujourd'hui."

Son visage est tourné vers le sol, sa voix s'éteint peu à peu tandis qu'il raconte. Et quelques larmes salées tombent doucement à ses pieds.

Hernanone écoute avec attention les paroles de l'homme masqué. Au fil des propos, ses yeux se remplissent de larmes de tristesse mais aussi de larmes de colère...Tristesse parce que désormais elle sait que son amie ne reviendra jamais et qu'elle ne pourra jamais lui dire au revoir...Colère vis à vis de celui qui se disait son cousin mais qui l'avais conduit à sa perte, et qui lui aussi avait disparu, sans qu'elle puisse lui faire payer....

La Rousse se lève de son fauteuil et s'approche du Masque. Elle s'agenouille devant lui et lui prend les mains.


Je suis désolé et je partage ta souffrance....Je ne connaissais pas l'histoire...Elle marque une pause, prend le visage d'Alejo, le relève et le fixe du regard. Un regard vert émeraude, déterminé.
Tu as du traverser des momentq très durs, je peux le concevoir...Mais je ne peux concevoir ce que tu es devenu....Tu avais et tu as toujours des amis, qui auraient pu t'aider...J'étais là, je t'aurai soutenu, aidé à remonter la pente....

Mais au lieu de ça, regardé ce que tu es devenu....Un homme qui se cache derrière un masque, une main vengeresse pour se légitimer....et puis une relation....une relation....avec elle, avec celle qui a trahi la femme que tu étais allée chercher....

Tout cela, j'ai beaucoup de mal à te le pardonner....Il faudra du temps, beaucoup de temps mais la rancœur est toujours là....tenace.

Hernanone ne lâche pas le visage du masque, son regard s'est fait plus dur tout en restant compatissant. Ce n'est pas à lui qu'elle en veut le plus, mais bien à la seule personne qui ne cesse de trahir ceux qu'elle appelle ses amis.

Sans un mot et sans quitter le regard de la belle rousse, l'ombre écarlate porte ses mains derrière sa tête et délasse lentement son masque, puis le retire.
L'hidalgo qui vivait dans cette guilde il y a à peine plus d'un an a bien changé. Ses traits sont plus marqués, plus durs, il a l'air d'avoir vieilli, d'être devenu plus mature. Ses cheveux, coupés courts, n'arborent plus de catogan. Mais surtout, une longue balafre orne son visage. Une trace de brûlure au fer rouge, maintenant cicatrisée, part du coin de ses lèvres - déformées en un petit rictus permanent - pour remonter jusqu'à sa pommette.

Ce n'est pas "que" la perte de Nara qui a fait de moi ce que je suis devenu, Hernanone. Le destin m'a rattrapé sur la tombe même de celle que j'aimais. Car l'équipage que j'avais engagé à pillé le couvent tandis que mes larmes m'aveuglaient. Et massacré les religieuses qui s'y trouvaient. Tout ça en mon nom, laissant les couleurs de ma famille visibles de tous.
J'ai été trahi. Avant d'être capturé par eux et torturé, de manière absurde, bien trop longtemps.

Ces souvenirs semblent le perturber et il n'en dit pas plus, tandis qu'il essai de contrôler discrètement le tremblement de ses mains.

Peut-être bien que j'ai perdu la raison pour me dissimuler derrière ce masque. Mais pour le salut de ma famille, il fallait qu'Alejo soit mort. Et que je disparaisse. Je ne pouvais plus venir chercher de l'aide auprès de mes amis, c'était trop m'exposer.
Alors j'ai choisi de trouver un autre refuge. Là où personne n'irait me trouver. La Confrérie...

Peut-être que j'ai eu tord, que j'avais d'autres solutions... Je ne sais plus. Mais il est trop tard de toute manière.

Il se tourne vers le foyer, essayant de dissiper ses mauvaises pensées.

Quand à Dulcina... J'aimerais te convaincre que tu as tord...
C'est une femme de tête, avec du caractère. Comme Nara l'était. Tu sais, cette dernière n'était pas beaucoup aimé, par les espagnols puis par les hollandais. Mais toi et moi, nous savons que c'était quelqu'un de bien.
Et je crois que c'est pareil pour Dulcina. Parfois, elle fait des choses... à cause de son engagement pour les anglais... mais ça ne remet pas en cause sa valeur.
La trahison dont tu parles, elle a eu lieu il y a longtemps, à une époque où je n'étais plus sur cette île. Je n'en sais pas grand chose. Mais ça n'a pas empêché Nara de venir au mariage de Dulcina, là où je l'ai rencontrée.
Je crois que leurs différents n'étaient que... "nationaux" mais qu'en tant que personnes, elles se seraient bien entendues.

Hernanone ne peut détacher son regard du visage d'Alejo, fixant sa cicatrice de ses yeux vert émeraude. Elle sent bien qu'il lutte au fond de lui tout en lui expliquant son histoire. Cette détresse au fond de lui la touche.

Alejo, il n'est jamais trop tard. Nous avons tous nos démons enfouis au fond de nous, que nous essayons de cacher aux yeux des autres, toi comme moi...Nous souffrons tous, d'une manière ou d'une autre. Chacun essayant de canaliser cette souffrance, cette colère comme il le peut.

A ce moment, une étrange lueur passe dans les yeux de la Rousse, comme si elle aussi avait un lourd passé, un lourd secret au fond d'elle.


Je ne te blâme pas. Je n'en ai pas le droit. J'aurai juste voulu être là lorsque tu en as eu besoin, en tant qu'amie...Car, sache le, Alejo, quoique tu sois devenu aujourd'hui, homme masqué, main vengeresse, ou autre, tu restes et resteras mon ami....que cela te plaise ou non. Et je ferais en sorte que tu t'en souviennes.

La jeune femme plante son regard dans celui d'Alejo, un regard dur mais en même temps amical. Puis, laissant son ami à sa place, elle retourne savoir dans son fauteuil, faisant échapper un petit rire de sa gorge.

Me convaincre que j'ai tord....Alejo, voyons....Tu devrais me connaître. Il t'en faudra beaucoup plus pour arriver à me faire changer d'avis sur elle....Et je doute que tu sois le mieux placé pour parler objectivement d'elle....Tu ne vois pas tout le mal qu'elle fait autour d'elle....Tu ne peux pas comprendre tous les griefs que j'ai contre elle....Et cela n'a rien à voir avec Nara, tout du moins, elle n'en ai pas la cause première.
Cette femme, que soit disant tu aimes, n'agit que pour son propre intérêt. Elle ne s’intéresse pas aux conséquences de ses actes pour les autres...Par pur égoïsme, elle est prête à mettre en péril des vies...la vie de celui que j'aime....Et ça, jamais je ne le tolèrerai et lui pardonnerai....

Mais si au fond de toi, tu as trouvé le bonheur avec elle, une vraie raison de vivre, d'être heureux, alors je ne peux que m'en rejouir...Mais ne me demande pas de l'aimer, et surtout ne la compare pas à Nara....Tu n'en as pas le droit.

Nara était, et restera ma meilleure amie, même dans la mort. Elle agissait pour sa nation mais avant tout pour ses amis. Jamais elle ne les aurait mis en danger juste pour assouvir ses propres intérêts.

Dudu n'a aucune des qualités de Nara et ne les aura jamais à mes yeux.

Les mains de la Rousse se crispent de colère sur sa robe en pensant à l'automne qui vient de s'écouler. Un automne gravé dans sa mémoire, qui aura des conséquences pour celle qui n'a agi qu'en pensant à elle.

L'homme en rouge passe la main dans le vide, comme pour interrompre cette discussion.

Ne parlons plus d'elle, alors. J'ai déjà bien assez de mal à me justifier auprès de mes "frères" pour ne pas vouloir le faire auprès de mes amis également. Sache qu'elle m'apporte ce qu'il me manquait. C'est tout ce qui compte, n'est-ce pas ?

Il tente un sourire timide.

Assez parlé de moi. Raconte-moi ce qu'il en est des Sylphes.
Pas de mariage de prévu bientôt ? Ou d'autre heureux événement ?
Je crois que vous avez fait de nouvelles recrues. Comment se porte la guilde ?
Dommage qu'aucun ne soit là, j'aurais aimé les rencontrer...

La Rousse se lève un instant pour remettre une bûche dans le feu. Tournant le dos à Alejo, elle en profite pour évacuer mentalement sa colère et physiquement en torturant la bûche qu'elle venait de poser. Puis elle se rassied dans son fauteuil, un sourire sur son visage et les yeux pétillants.

Je te l'ai dit, Alejo, tout ce qui m'importe c'est que tu sois heureux. La vie est faite de sorte que l'on ne peut pas apprécier tout le monde mais on ne peut que se réjouir du bonheur de ses amis, même si l'on n'approuve pas ceux avec qui ils l'ont trouvé.

Sois heureux, vis le moment présent.

Hernanone marque un temps d'arrêt dans ses propos, comme si elle cherchait comment continuer son discours.

Hum...Les Sylphes tentent de survivre aux dernières réformes apparues sur l'île. J'ai toujours peur que nous ne soyons plus assez pour exister. Les temps sont durs, surtout face aux grosses formations qui recrutent à outrance. A croire que les gens n'ont pas le courage de s'investir dans de petits clans et qu'ils préfèrent la sécurité d'avoir tout à portée de main dans les grosses formations.
Mais je ne désespère pas d'avoir de nouvelles recrues. Quant aux anciens, ils se font toujours autant discrets, chacun voguant au gré de ses envies. Je leur ai pourtant dit que tu te trouvais par chez nous, mais tu dois leur faire peur....La jeune femme se mit à rire.

Quant à d'heureux événements, rien à ma connaissance. Tu sais, je ne suis pas très mariage. Je suis heureuse de ma relation avec Slaughter, je n'ai pas besoin d'une bague ou d'autre futilité pour savoir que nous nous aimons. Nous sommes toujours ensemble, vadrouillant à travers l'île, veillant l'un sur l'autre. Et cela vaut bien plus qu'un mariage.

Port Louis. Une ville comme une autre plongée dans la tourmente de l’air glacial de hivers au milieu de l’océan. Les Hommes souffraient du froid, supportant leurs vêtements uniquement pour la protection qu’ils leur accordaient face aux contraintes de la saison. Mais ce soir les cieux étaient cléments. Un vent léger avait apporté une pluie de diamants, tombant en fins éclats sur les pavés de Port-Louis en cette fin de soirée. La Lady était à son bureau, lisant un livre à la lueur d’une bougie. Nul feu dans l’âtre. Il faisait déjà bien trop chaud pour elle, malgré les murs fin de l’antre qui ne protégeait guère des violentes bouffées d’air qui remontaient des rues. La Sylphe leva les yeux de son livre un instant pour porter sa main à la carafe d’eau trônant sur son bureau quand elle stoppa son geste.


-Un visiteur.

Doucement elle referma son livre, une feuille d’églantier entre les pages où sa lecture avait été stoppée. Elle se questionnait. Elle se leva et avec précaution rangea son livre. Puis elle replaça avec précision son fauteuil. Des gestes simples. Précis.

Elle descendit l’escalier, sans bruit, à pas feutrés. Ses pieds nus lui renvoyaient tout un lot de sensation. La vie de l’antre passait par elle et les murs. Où ses doigts glissaient, effleurant la lourde pierre. Enfin elle passa sous la lourde étoffe barrant l’entrée de la salle attenante à la cuisine. Le tavernier finissait de préparer un grog. Sans hésiter la Sylphe vint vers lui et prit deux verres dans une main, puis la boisson dans l’autre.

Le visiteur lui tournait le dos. Il était là, assis non loin de la cheminée avec Hernanone. Elle le rejoint, du même pas silencieux qui la caractérisait. Son bras s’étendit derrière lui pour poser les verres et la bouteille, puis ses mains vinrent se poser sur ses épaules, doucement, avant de prendre la parole.


-Bonsoir cher Masque. Je peux me joindre à vous ?

La Sylphe était tout juste à un pas de lui, derrière le dossier. Ses mains étaient calme, son sourire fin accroché à ses lèvres. Elle salua Hernanone au passage et d'un regard entendu compris qu'elle tombait à pic pour clôturer une conversation douloureuse.

Par réflèxe, la main de l'homme masqué se porte sur son arme, prête à en armer le chien. Il ne faut pas grand chose pour alerter un homme traqué.
Son regard se porte sur celui de la rousse, sondant la confiance qu'il peut avoir en son hôte.
Il se détent et ramène sa main sur ses genoux, attendant. Et sourit en sentant les doigts fins se poser sur ses épaules.

"Lady Mansfield ? Quelle surprise de vous retrouver ici. Nos chemins sont-ils fait pour se croiser ? Vous êtes donc devenue une Sylphe.

C'est une recrue de qualité que tu as fait, Hernanone..."

Visiblement, ces deux là semblent déjà se connaitre. Le visage du pirate prenant un air complice.

Voyant la réaction du Masque, l'anglaise sourit. Elle semblait amusée. Bah, ne l'était-elle pas presque toujours?

Le pirate répondait à la Sylphe alors qu'elle allait s'asseoir à côté de leur invité, sur sa gauche près du mur. Le grog était chaud juste comme il faut. Elle servit un verre du breuvage à celui ci et le lui fit glisser devant lui. Ainsi il revenait ici après tant de temps? Les choses avançaient. En était-il heureux, content, soulagé ? Elle n'aurait sut le dire.

" C'est gentil d'être passé. On ne te voit guère à Port-Louis. Je te souhaite donc la bienvenue de la part de la petite nouvelle que je suis.
En effet nos chemins semblent fait pour se croiser, mais je trouve cela très agréable.
Et je te remercie quant au compliment fait à mon égard."


L'anglaise prit une gorgée de grog et savoura le liquide un instant avant de continuer. Les mots venaient tous seuls. Elle parlait naturellement, en fait cela lui permettait de faire le point. Qui était là, qui n'y était plus, comment ou pourquoi et vers quoi ils se dirigeaient. Les temps changent, la vie continue, la mort gagne toujours. Ou presque.

Pourquoi un tel retour ici ? Reviendras tu un jour parmi nous ?


Les questions raisonnèrent avec force sur les murs. Comme des coups de marteaux. Secs, mats, implacables. C'était là son franc parler.

Tu es bien placé pour savoir que nous n'avons pas de moule, chacun est unique et vit sa propre vie comme il l'entend. Mais une vraie Sylphe connait ses devoirs et y répond quand ils l'appellent. J'espère que tu sauras sonder celle qui est en toi.

Elle but une nouvelle gorgée de grog. Elle n'avait rien de plus à dire pour présenter les choses. A dire vrai, elle ne se souvenait pas en avoir dit autant jusque là aussi formellement. Cette soirée était bien étonnante, à plus d'un égard.

L'hidalgo déchu prend le verre de grog et fait tournoyer le liquide, réchauffant sa main. Puis il y goute doucement.

Tu sais, je suis rarement le bienvenu à Port-Louis. Les dernières visites que j'y ai fait ont souvent tourné court.

Son regard se porte tour à tour vers les deux femmes.

Quand à revenir ici... Il faudrait déjà que je quitte ce bandeau noir. Et rien ne me permet de crorie que ça soit possible.
Mais j'avais envie de retrouver ces lieux. La nostalgie sans doute. Et le besoin d'effectué un devoir trop longtemps négligé.

Ses doigts tapottent machinalement sur son arme.

Mais je ne vais pas rester beaucoup plus longtemps. Le principal a été dit. Et ma présence risque de vous causer des soucis.
Je suis la deuxième Sylphe à devenir pirate, je crois. Ca va devenir une habitude, faites attention.

Il sourit.

Merci de votre accueil en tout cas. C'est bon de pouvoir souffler un peu.

Hernanone regarde Alejo droit dans les yeux tout en lui souriant.

Tu seras toujours le bienvenu ici....bandeau noir ou pas....Cela m'a fait du bien de discuter avec toi. Certaines zones d'ombre ont ainsi trouvé réponse dans mon esprit....Même si j'aurai préféré que ces réponses ne soient pas si mauvaises.....

La Rousse se lève pour remettre quelques bûches dans le feu, puis s'approche de l'hidalgo

Aucune présence en ces lieux, quelle qu'elle soit, ne peut nous causer du tort. Nous sommes libres d'accueillir qui nous voulons, surtout quand il s'agit d'amis....

Et pour les Sylphes pirates....le regard de la Rousse s'illumine un instant d'une petite étincelle, qui sait ce que l'avenir nous réserve....

Hernanone pose la main sur l'épaule d'Alejo

Prends soin de toi....et si tu as besoin de discuter, il te suffit de pousser la porte de cette demeure.....Tu y trouveras une oreille attentive.